France, 9 juin 2024, élections européennes. Ce soir-là sonne pour moi comme une déflagration. C’était largement annoncé mais naïvement, très naïvement, je n’avais pas voulu y croire. J’écoute les résultats nationaux, je checke frénétiquement ceux de mon département, de ma petite ville de province que je considère comme très tranquille. Tous sont identiques. Ils diffèrent dans les grandes villes, dans les lieux où la mixité est la plus forte. Y a-t-il un lien ? Je n’en sais rien. Je suis tellement abasourdie, écœurée, qu’aucune réponse ne me vient et que je n’ai ni l’envie ni la force de chercher une explication.
La dissolution est annoncée. Il va falloir aller revoter, et surtout se confronter pendant plusieurs semaines aux discours de ceux qui veulent rester en poste ou se placer sur l’échiquier, transformant nos ondes, nos écrans, en un spectacle affligeant. Au fil des jours, je me rends compte à quel point cette atmosphère me touche. J’ai l’impression que tous mes regards deviennent suspicieux et qu’une forme de paranoïa s’installe. Le 20 juin, alors que je n’avais pas prévu de partir à l’étranger cet été, j’achète un billet d’avion : départ trois semaines plus tard ; direction : le Japon, ce pays que je commence à bien connaître et qui s’inscrit dans ma tête et mon corps comme un puissant et naturel calmant ; objectif : photographier les matsuris, ces fêtes traditionnelles, innombrables l’été sur l’archipel, où l’on danse, chante, mange, boit, joue, rit, librement, sans réserve et sans pudeur. Alors De Tokyo à Osaka, en passant par l’île de Kyushu, je traque les occasions de me mêler à la foule.
Ces matsuris sont à mes yeux bien plus que de simples festivals. Ce sont des moments de vie où le quotidien cède place à une énergie ancienne, une communion qui lie chaque geste, chaque sourire, chaque applaudissement. Pas de classes sociales ni de masques, seulement des visages qui s’ouvrent, des mains qui se tendent, des rires qui résonnent.
Dans chaque lieu, les habitants forment un tout, un corps collectif dansant au même tempo.
Loin d’être une évasion, ce voyage devient un point de connexion : il me ramène à ce que nous avons de commun, à cette capacité humaine à chercher la lumière, à créer un cercle inclusif où chacun a sa place.
Dans ces moments, loin du tumulte politique et de la fragmentation qui s’installe en France, j’ai l’impression de retrouver le regard d’unité et de partage dont mon pays semble s’éloigner, et une forme de légèreté…